24.3.09

Buboneka: deuxième chapitre

Une pièce bien éclairée. Une bibliothèque. Pleine. Une table. Deux chaises. Une bouteille de Glendronach 25 ans. Deux verres.

Deux hommes boivent à petites gorgées, avec raffinement. Ils écrivent sur leur ordinateur respectif. Musique jazz funky. Charlie Hunter.

Headhunters. Lettuce. Soulive. Christian McBride. The Philadelphia Experiment. Medeski, Martin & Wood. SloSco. Roy Hargrove. The real shit.

Les deux hommes ne se parlent pas. Ils s'écrivent. Stanton Moore martèle un jazz arabisant, beau comme un meurtre doux.

André: Crois-tu qu'ils nous ont vus? Crois-tu qu'elle leur a fait peur? Le studio était-il assez à l'envers? Et le corps, assez mutilé?

Balthazar: Calme-toi. T aussi nerveux qu'un puceau devant une star porno. Bois ton Glendronach & apprécie-le. Les autres sont au courant?

André: Tout vient à point à qui sait se pendre. Inutile de les alarmer au milieu de la nuit. Eux aussi, travaillent. Tenons-nous-en au plan.

Balthazar: J'aime mieux ça. Reprenons du début. Vers 11h, tu l'as vu entrer. Est-ce qu'il a trouvé les citations sur la victime?

André: Il me semble que oui...

Balthazar: Il te "semble" que oui?

André: Je veux dire, j'étais bien à mon poste. Je suivais ses moindres déplacements avec la lunette de visée.

Balthazar avala une autre gorgée de scotch et fixa son alter-ego dans les yeux sans sourciller : "tu étais à une distance raisonnable?"

André: Je suis toujours à une distance raisonnable. Je ne supporte pas la proximité. Tu es sans doute le seul que j'arrive à endurer.

Balthazar: André...

André : Balthazar...

Balthazar : Tu dérapes. Focus.

André : C'est toujours la même chose avec toi. Tu me fais pas confiance. Il faut que je te raconte tout. Au détail près. J'ai tout vu!

André : Fleurs, sources, sillons se pâmer sous mon oeil qui palpite.

Balthazar soupire, lui jette un regard noir.

André : Quoi? Qu'est ce qu'il y a? On ne peut plus citer Baudelaire?

Balthazar : Les faits, imbécile. Venons-en aux faits.

André : Il a trouvé le message STOP Il s'est avancé dans le corridor STOP Elle s'est déintégrée sous ses yeux STOP Il s'est penché STOP

André : Tout comme prévu STOP Il avait trouvé l'autre indice sous son soulier STOP Son acolyte l'a surpris par derrière STOP

André : La tête rousse rigolait STOP L'autre agenouillé dans le sang, non STOP Il y a eu un échange de paroles STOP Ils ont quitté STOP

Balthazar : Vive la télégraphie. As-tu retracé notre prochaine victime?

André : Elle arrive de Paris dans trois jours. Une conférence sur "La figure du démon dans l'oeuvre de Lautréamont", je crois.

Balthazar : C'est parfait. Tu t'y prends de la même manière. Dans la bouche. Il ne faut pas négliger ce détail.

André : Il faut en finir avec la vermine. Trop de littéraires sur cette planète. Le devenir passera par la chair ou il ne passera pas.

Balthazar : Ce genre de langage te perdra un jour. On se retrouve cette nuit. Au même spot que d'habitude. 1h00 pile.

André s'emportait facilement. Il laissait la vie sauve aux commis, aux secrétaires et aux coiffeuses, mais les lettrés, c'était personnel.

Intellos. Auteurs. Chercheurs. Poètes. Dramaturges. Blogueurs. Tweeteurs. Ils évoquaient dégoût et violence qu'André ne pouvait contenir.

André ne choisissait pas n'importe quelle victime. Il les désignait avec soin. Comme cette conférencière sur Lautréamont. Pas une novice.

Bac en littérature comparée. Maîtrise sur la névrose chez Lautréamont. Doctorat démystifiant la baudruche que sont les faurissonneries.

André suivait un cours de création littérature à l'UQAM lorsqu'il a dégoté la miss. Grande rousse. Yeux pers. Jupe moulante. Top assorti.

C'est elle qui donnait le cours. Création de scénario. Écrire un hommage a qqn de cher. Conte pour enfants. Slamer des jeux de mots sonores.

Des invités parlaient de leur job. Fred Carrier. Amélie Dumoulin. François Barcelo. Mais André n'en avait que pour la docteure ès lettres.

Elle n'en avait que pour le slameur irrévérencieux, Fred. Celui qui transformait les dialogues de gars de shop en vers scabreux et vrais.

André concurrençait le slameur avec peine: roulant les R, enchaînant les contrepèteries, mixant les métaphores, enjambant les vers libres.

Le point d'orgue fut atteint lorsque Fred s'en prit littérairement à André, le déculottant et l'humiliant dans un slam sans appel.

Fred: Les faiseux de vers, les rimeux d'alexandrins, les fourreurs d'hémistiche, les enculeurs de soleil, les déviergeurs d'étoiles: next.

Elle n'avait pu retenir un léger rictus mais elle avait su l'étouffer pour ne pas heurter l'égo de celui que Fred visait. André encaissa.

Il était presque 1h. André trépignait à l'idée de liquider celle qui l'avait humilié devant une bande d'incultes littéraires. André écumait.

Une grande rousse sortit du métro Sherbrooke. Accompagnée d'un pouilleux pas rasé. Probablement un poète. Il s'allumait une Mark Ten.

Elle prit son bras comme le fond les amoureux dans les films romantiques. Il l'alluma. Elle s'esclaffa. Il se prenait pour un mannequin.

Fred: C'était vraiment mauvais à la maison de la culture. Encore des pseudos poètes mystiques qui se branlent dans des cimetières. Pu capab.

Elle: T'es intolérant. Laisse-les faire s'ils aiment ça se regarder la bite en groupe et hululer à la lune. Toi aussi t'es passé par là.

André savait qu'ils allaient au bar l'Ours qui fume, en face de la terrasse St-Denis. L'hôtel en face leur servirait de dernier repos. Chambre 9.

Le thème des Valkyries se fait entendre, c'était le téléphone d'André qui sonnait.

Balthazar: Changement de plan. La rousse. Ce n'est pas LA rousse. C'en est une autre. Abort mission.

André: Qu'est-ce que t'en sais? Tu ne la connais même pas! Arrête de me surveiller je suis assez grand pour liquider mes victimes tout seul!

Balthazar: Je répète, il y a erreur sur la personne. Mission annulée. Rapportez-vous au QG immédiatement.

Pris de colère, André entre dans l'Ours qui fume et vide son chargeur sur la rousse. Mais il y a erreur. La rousse porte une perruque.

André recharge. Il doit liquider les témoins. Fred recule jusqu'au bar et s'en prend une dans le front. Idem le barman. André respire mieux.

Heureusement c'est un petit bar. Pas grand monde. André traîne les 3 corps dans le backstore pour les découper et créer son oeuvre.

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